dimanche 31 mars 2019

"Ici, il y a 175 détenus pour 68 places".

Cette année aura été, pour moi, celle d'une nouvelle expérience. A la demande de la fondation M6, j'ai fait partie des auteurs invités à aller rencontrer des détenus, autour d'un concours d'écriture mené depuis plusieurs années déjà en milieu carcéral (si vous voulez en savoir plus, c'est ici que ça se passe.)

La fondation m'a demandé, comme elle le demande à chaque auteur, d'écrire un "retour" sur ces rencontres.

C'est un exercice assez compliqué, de mettre des mots là-dessus. Voici ceux qui me sont venus, après pas mal de temps à tourner autour du pot... Et je les partage ici aussi, parce qu'on ne parle jamais trop, à mon goût, de tous les "à la marge" de notre société (quelles que soient ces marges).


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Il y a, dans l’écriture, pour moi, une ambivalence absolue.

J’écris le plus souvent seule derrière mon écran. Seule, dans les faits, au moment précis où je choisis, où je travaille les mots. Dans ma bulle. En pensée, loin de tout ce qui n’est pas le texte à façonner.

Mais je n’écris jamais seule, au fond. J’écris nourrie d’Autres. D’individualités, d’humanités, de regards. J’écris abreuvée d’échanges et de souvenirs, d’images, de mouvements, de corps, de mots, de sons, de vibrations, d’histoires singulières. J’écris cernée de parfums, de saveurs, de couleurs. De forces et de fragilités. C’est tout cela, pour moi, l’essence même de l’écriture. Ce qui en fait la raison d’être.
 
J’écris pour construire ou déconstruire des rencontres imaginaires. Et ces rencontres imaginaires sont comme des échos aux rencontres réelles. Comme des reflets du monde qui m’entoure. Que je ne raconte pas. Pas comme il est, en tout cas, pas factuellement. Je le tords, toujours, pour le regarder autrement, lui faire face, pour le questionner, pour tenter de le comprendre ou de l’aimer, parfois (et j’ai du mal, souvent), voire pour fantasmer de le changer.

Dans une interview que j’écoutais récemment, j’entendais Delphine de Vigan dire : « j’écris parce que je ne sais rien faire d’autre face à la violence du monde ». Je suis, en tant qu’auteure, exactement de ce même bois.

J’écris donc seule, mais avec des centaines ou des milliers de gens, consciemment ou inconsciemment, autour de moi. En moi. Qui me protègent, autant qu’ils me bousculent. Qui m’émeuvent, me bouleversent, ou m’exaspèrent. J’écris bardée de sentiments contraires.

Et comme un effet balancier, comme un genre de mouvement perpétuel, une fois que j’ai écrit, le texte est parfois, à nouveau, le médiateur d’autres rencontres, d’autres découvertes, d’autres échanges. Ce qui esquisse la possibilité d’un texte suivant. Et ainsi va la vie de l’écriture.

Ce que je sais, après mon passage en maison d’arrêt, après les instants impossibles à raconter qui s’y sont déroulés (car oui, les auteurs peuvent AUSSI manquer de mots, que voulez-vous... !), c’est que le prochain texte que j’écrirai naitra bercé par de nouveaux regards. De nouveaux souvenirs, intenses, particuliers, uniques. Qu’il prendra corps baigné du souvenir des rires et des souffrances évoquées, des échanges parcourant toute la gamme entre « anecdotique » et « profond », des mots offerts à l’oral ou à l’écrit.

Le reste, c’est de l’ordre de l’indicible, de l’intime.

Il y a, derrière les murs de la prison, je le crois, de la laideur et de la beauté. De la dureté et de la tendresse. Du désespoir et de la joie. De la pudeur et du besoin de dire. Entrelacés, mêlés, tressés.

C’est en tout cas avec tout ça que j’en suis repartie. Nettement plus riche qu’avant.


Ce n’est pas ça que j’écrirai. Mais j’écrirai avec ça.